L'interaction forte

L'interaction forte est une interaction qui ne nous est pas familière car son action est confinée à l'intérieur des noyaux atomiques (tout comme l'interaction faible). C'est pourquoi elle n'est connue que depuis quelques décennies.

Historique

En 1911, Ernest Rutherford montra l'existence d'un noyau dans les atomes. Environ vingt ans plus tard, il était clair que les noyaux étaient formés de protons (de charge électrique positive) et de neutrons (électriquement neutres comme leur nom l'indique). A cette époque, seulement deux interactions fondamentales (la gravitation et l'électromagnétisme) étaient connues. Or, aucune des deux ne pouvait expliquer la cohésion du noyau atomique. En effet, la gravitation est beaucoup trop faible et l'interaction électromagnétique ne peut pas assurer la cohésion de particules électriquement neutres comme les neutrons. De plus, la répulsion électrostatique des protons entre eux (ils ont tous une charge électrique positive) devrait faire exploser le noyau atomique. Il fallut donc introduire une nouvelle force capable d'assurer la cohésion de ces noyaux: la force nucléaire (de nucleus=noyau).

La première théorie de la force nucléaire fut élaborée par Hideki Yukawa en 1935. Il s'agissait alors d'une interaction entre protons et neutrons par l'intermédiaire d'une particule vecteur lourde appelée pion. Dans cette théorie, la particule vecteur devait avoir une masse non nulle afin d'expliquer pourquoi les effets de la force nucléaire étaient de courte portée. Cette particule fut bien découverte quelques années plus tard, mais la théorie de Yukawa ne donnait pas de résultats suffisamment satisfaisants. De plus, contre toute attente, de très nombreuses particules sensibles à la force nucléaire furent découvertes. Ainsi, au début des années 1960, la force nucléaire n'était toujours pas décrite par une théorie correcte.

En 1964, Murray Gell-Mann et George Zweig émirent l'hypothèse que les protons, les neutrons et les très nombreuses particules récemment découvertes n'étaient pas des particules élémentaires mais plutôt des objets complexes constitués de particules plus petites appelées quarks. Cette nouvelle description des particules sensibles à la force nucléaire changea complètement la façon dont cette force était abordée. Ainsi entre 1967 et 1970, une nouvelle théorie appelée chromodynamique quantique (ou QCD) vit le jour, donnant une description cohérente de l'interaction forte qui permet de lier les quarks entre eux pour former des particules composites appelées hadrons (les protons, les neutrons et les pions sont des exemples de hadrons). La force nucléaire n'est plus alors que le résidu entre hadrons de cette interaction forte, comme sont les forces de van der Waals par rapport à l'interaction électromagnétique.

Caractéristiques

L'interaction forte s'aplique aux quarks et uniquement aux quarks. En fait, un quark est défini comme étant une particule sensible à l'interaction forte... Ainsi, les électrons, neutrinos ou photons ne sont pas des quarks, ils sont insensibles à l'interaction forte. De plus, les effets de l'interaction forte se font sentir entre particules composées de quarks (les hadrons), comme par exemple entre les protons, les neutrons et les pions.

Tout comme l'interaction électromagnétique agit entre particules possédant une charge électrique, l'interaction forte agit entre particules possédant une charge de ``couleur'' (d'où le nom de chromodynamique). Ainsi, les quarks sont les particules qui possèdent une charge de ``couleur'', les autres (comme les électrons, neutrinos ou photons) sont neutres en ce qui concerne la ``couleur''. Cette charge peut prendre trois valeurs distinctes appelées ``rouge'', ``vert'' ou ``bleu''. Un proton ou un neutron contient trois quarks, un ``rouge'', un ``vert'' et un ``bleu'', on dit donc qu'il est ``blanc''. Evidemment, la ``couleur'' dont il est question n'a rien en commun avec la couleur que nous connaissons dans la vie courante. Les mots ``couleur'', ``rouge'', ``vert'', ``bleu'' ou ``blanc'' font ici référence à des notions mathématiques complexes et sont utilisés uniquement par analogie à la décomposition de la lumière visible en trois couleurs primaires (possible uniquement parce que la rétine humaine contient trois types de récepteurs sensibles à des fréquences distinctes).

L'interaction forte possède une propriété très particulière appelée liberté asymptotique. Ce terme un peu barbare signifie seulement qu'elle a le comportement inverse de l'interaction électromagnétique ou de la gravitation. En effet, dans le cas de ces interactions familières, la force diminue avec la distance entre les objets en interaction, ce qui donne les fameuses lois en 1/d2. Au contraire, l'interaction forte est une force qui augmente avec la distance. Inversement, plus les quarks sont proches les uns des autres moins ils interagissent, ce qui signifie que deux quarks infiniment proches n'interagissent plus du tout entre eux: ils sont libres asymptotiquement (pour une distance infiniment proche de zéro). Ce comportement pourrait être comparé à celui de deux billes jointes par un ressort: plus les billes sont éloignées l'un de l'autre plus le ressort tente de les rapprocher alors que si les deux billes sont l'une contre l'autre le ressort n'agit plus.

La liberté asymptotique a une conséquence très importante. Puisqu'il faut une énergie infinie pour séparer deux quarks totalement, il est extrêmement difficile de n'extraire seulement qu'un quark d'un hadron. En fait, il est impossible d'observer un quark libre, c'est à dire seul en dehors d'un hadron. Ainsi, les seules particules libres observables sont les hadrons, particules composites ``blanches'' constituées de quarks. Il existe donc des hadrons formés de trois quarks (ou trois anti-quarks), chacun d'une ``couleur'' différente, c'est le cas des protons et des neutrons, mais aussi des hadrons formés d'un quark d'une ``couleur'' et d'un anti-quark de l'``anti-couleur'' correspondante, c'est le cas des pions. Les quarks sont donc confinés à l'intérieur des hadrons.

Comme son nom l'indique, l'interaction forte est l'interaction fondamentale qui a l'intensité la plus importante, ce qui permet de contrer la répulsion électrostatique entre les protons dans les noyaux atomiques. Alors pourquoi n'y a-t-il pas d'effet à notre échelle ? En fait, toutes les particules libres étant ``blanches'', les effets de l'interaction forte restent confinés dans des volumes très petits, comme par exemple dans les noyaux atomiques (diamètre de l'ordre de 10-15 m), là où deux quarks contenus dans deux hadrons différents sont suffisamment proches pour voir leurs ``couleurs'' respectives et interagir.

Lorsque deux quarks interagissent par interaction forte, ils échangent leur ``couleur'': un quark ``vert'' qui a interagi avec un quark ``rouge'' devient ``rouge'' alors que l'autre devient ``vert''. Cet échange de ``couleur'' est réalisé par l'échange d'un gluon, particule vecteur de l'interaction forte. Le gluon échangé porte donc une charge de ``couleur'', contrairement au cas de l'électromagnétisme où le photon a une charge électrique nulle. Possédant une charge de ``couleur'', le gluon peut donc interagir avec un autre gluon, c'est cette propriété qui est à l'origine de la liberté asymptotique. En réalité il existe huit gluons distincts, chacun d'une ``couleur'' différente, comme par exemple le gluon qui permet les échanges entre les quarks ``verts'' et ``rouges''. C'est seulement leur ``couleur'' qui permet de distinguer deux gluons l'un de l'autre.

Le gluon a une masse nulle, il se déplace donc à la vitesse de la lumière. La nullité de sa masse permet théoriquement des interactions fortes à une distance infinie mais le phénomène du confinement des quarks dans les hadrons rend les effets de l'interaction forte confinés à l'intérieur des noyaux atomiques. Le nom du gluon vient de l'intensité de l'interaction forte: les gluons ``collent'' les quarks entre eux comme de la glue...

Manifestations courantes

A priori il semble difficile de trouver des manifestations courantes de l'interaction forte, son domaine étant exclusivement celui du noyau atomique...

Il ne faut pourtant pas oublier que le noyau atomique est indispensable à l'existence de l'atome. Or toute la matière que nous connaissons, qui nous entoure et dont nous sommes formés, est constituée d'atomes. Donc sans interaction forte, nous n'existerions pas car la matière ne pourrait pas exister sous la forme que nous connaissons. Nous sommes donc une manifestation indirecte mais très courante de l'interaction forte !

L'interaction forte est aussi indispensable à l'existence d'un phénomène très courant dans l'univers: les étoiles. En effet, cette interaction est responsable en grande partie des réactions thermonucléaires qui ont lieu au centre des étoiles, principalement la combustion de l'hydrogène en hélium. Or ces réactions sont la source de l'énergie que les étoiles rayonnent. L'interaction forte contribue donc aussi à faire briller le Soleil.

La seule application humaine de l'interaction forte est l'utilisation de réactions nucléaires pour produire de l'énergie (et éventuellement des bombes...). Mais pourquoi produit-on beaucoup plus d'énergie avec des réactions nucléaires qu'avec des réactions chimiques ? Les réactions chimiques mettent en jeu l'interaction électromagnétique alors que les réactions nucléaires mettent en jeu l'interaction forte: comme l'interaction forte est beaucoup plus intense que l'interaction électromagnétique, casser des noyaux atomiques libère beaucoup plus d'énergie que de casser des molécules. Ainsi, dans une même quantité de matière il y a beaucoup plus d'énergie ``nucléaire'' que d'énergie ``chimique''.

Interaction faible