Géométrie et arithmétique

 

La fusion entre la géométrie et l'arithmétique s'opère très tardivement, vers la fin du XVII° siècle, avec des gens comme Newton et Leibniz, au terme d'une longue maturation. Elle a son origine dans la pratique algébrique.

L'algèbre a été fondée au IX° siècle par des mathématiciens arabes, qui introduisent le concept fondamental d'équation. Equation au sens d'expression d'un problème. Dans l'idée de ses fondateurs, essentiellement Al-Khawarizmi au début du IX° siècle, un certain nombre de problèmes mathématiques peuvent s'exprimer sous une forme canonique : ce qu'on appellerait aujourd'hui l'équation du second degré. Il y avait l'inconnue, que Al-Khawarizmi appelait la chose, et puis le carré de l'inconnue, qu'il appelait, en arabe, la richesse (census en latin) - parce qu'il appliquait surtout ce genre de considération à des problèmes de partage d'héritage.

Une équation c'est donc une relation qui combine l'inconnue, son carré et un nombre. Il s'agit de trouver l'inconnue. Or, cette algèbre a été dès le début utilisée aussi bien pour résoudre des problèmes de nature numérique, que dans un contexte géométrique, pour résoudre des problèmes où l'inconnue était une grandeur géométrique. Après quoi les mathématiciens arabes ont développé un calcul sur les polynômes, ils ont introduit d'autres puissances, le cube, la puissance quatrième, et même des puissances négatives. Mais selon l'origine du problème, l'inconnue pouvait être une grandeur géométrique ou un nombre. Ce qui a induit une réaction en sens inverse : ils se sont rendus compte qu'on pouvait traiter sur le mode calculatoire les grandeurs géométriques elles-mêmes. Ils ont réinterprété sur un mode arithmétique le livre X des Eléments d'Euclide, qui présentait toute une théorie sur la classification des grandeurs irrationnelles qu'on rencontre dans les constructions géométriques. Puis à partir du XII° siècle les algébristes arabes ont effectué des calculs approchés en notation décimale avec des chiffres après la virgule, des calculs très élaborés avec des racines d'ordre quelconque.

Quand Pascal, au XVII° siècle, écrit : "La géométrie ne peut définir ni les nombres ni le mouvement ni l'espace", il considère encore qu'il y a d'un côté les nombres et de l'autre ce qu'il appelle l'espace, c'est-à-dire ce que nous appellons aujourd'hui la géométrie. La mathématique européenne a vécu jusqu'au XVII° siècle sur cette théorie des proportions euclidiennes. C'est seulement à cette époque qu'ont été adoptés les nombres décimaux avec des chiffres après la virgule, devenus d'usage courant pour les calculs astronomiques. C'est aussi au début du XVII° siècle qu'on a inventé les logarithmes, ce qui témoignait déjà d'une conception d'un continu numérique, mais ils sont apparus pour des raisons pratiques, avant d'être acceptés sur le plan théorique par Newton et Leibniz, qui en fondant le calcul différentiel et intégral ont imposé cette conception du continu numérique analysé par des nombres. Les rapports qu'Euclide considérait entre grandeurs géométriques étaient enfin devenus des nombres.

Newton considère le nombre comme un rapport entre deux quantités homogènes, de même nature; il conçoit des rapports de grandeur géométrique comme des nombres, mais cette conception est encore fondée sur la géométrie. C'est très progressivement, seulement au XIX° siècle, qu'on a eu l'idée qu'on pouvait fonder les nombres réels eux-mêmes sur un mode purement arithmétique, en se passant de la géométrie. Le premier qui a eu cette idée c'est Bolzano, un philosophe mathématicien tchèque, mais sa tentative n'a pas abouti. Le premier à réaliser des constructions arithmétiques des nombres réels est Dedekind en 1858. Il sera suivi par Weierstrass puis par Méray et par Cantor en 1872.

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